15
J’ai emménagé le soir même, en prenant soin de dissimuler la Jeep dans un bosquet. Sue avait préparé un pain de viande copieusement assaisonné de Tabasco. Elle avait également enfilé une robe propre, à fleurettes, et s’était coiffée. Nous avons dîné sous l’œil circonspect de Billy Bob. Sue m’a questionnée sur ma vie à L.A., les stars du show-biz que j’étais censée fréquenter, Rodeo drive, Bel-Air, les boutiques où il faut prendre rendez-vous trois mois à l’avance pour acheter une paire d’escarpins, ce genre de choses… Le gosse est resté silencieux, maussade, indisposé par ces bavardages de nanas. Une fois qu’il est parti se coucher, le ton a changé. Sue a sorti une bouteille de gin et a commencé à me raconter sa vie avec cette facilité déconcertante qu’ont les Américains pour déballer leur intimité devant un inconnu. Elle s’était mariée trop jeune, alléchée par la vie itinérante que semblait mener Ross, ancien Navy SEALs et aventurier. À la fac, elle avait été cheerleader et s’en était donné à cœur joie avec les garçons. Elle avait toujours aimé le sexe, répétait-elle volontiers, et rien ne l’excitait davantage que de se mettre au lit avec un inconnu.
— Ma mère était déjà comme ça, m’a-t-elle confié. Avec un type qu’on ne connaît pas on peut se laisser totalement aller. On n’a pas honte puisqu’on sait qu’on ne le reverra jamais. On ose des trucs dingues.
Quand je lui ai avoué que j’avais fait de la prison, elle a été emballée, et la soirée a viré à la discussion de copines. Elle me plaisait assez, je dois dire, et je n’ai pourtant pas la camaraderie facile.
Une sorte de lien s’est brusquement tissé entre nous, et, à la façon dont Sue a commencé à prononcer le you traditionnel j’ai compris qu’elle était passée à l’équivalent du tutoiement chez les Anglo-Saxons.
Quand nous avons gagné nos chambres respectives, nous étions pompettes. J’ai bien dormi. J’en avais besoin. Bizarrement, je me sentais en sécurité dans ce bungalow délabré qui empestait le graillon, la moisissure et le parfum bon marché. Sue Rolden était le genre de fille décalée qui me convenait. Elle était l’image même de ce que j’aurais pu devenir.
Le lendemain matin, nous nous sommes retrouvées de part et d’autre de la cafetière avec un sacré mal de tête. Billy Bob boudait ; après avoir avalé salement ses céréales, il a annoncé qu’il partait « s’entraîner » chez M. Wichita et ne rentrerait pas pour déjeuner parce que le majordome du vieux faisait bien mieux la cuisine que Sue. C’était là, je pense, sa manière de punir sa mère pour avoir introduit une étrangère dans la maison.
— Qu’est-ce qu’il entend par « s’entraîner » ? ai-je demandé alors qu’il sortait en claquant la porte.
Sue a haussé les épaules.
— Le vieux lui prête toutes sortes d’armes anciennes dont il lui enseigne le maniement, a-t-elle soupiré. Je ne sais pas si c’est très pédagogique mais ça l’occupe, surtout en cette période de vacances scolaires. Je te l’ai dit, il n’a aucun ami de son âge.
Après avoir avalé une bonne dose d’Alka-Seltzer nous avons décidé de nous mettre au travail. Dans la chambre à coucher, Sue a soulevé une latte du parquet pour récupérer un coffret métallique qu’elle a posé sur la table de cuisine.
— Ça, a-t-elle expliqué, ce sont les archives secrètes de Ross. Le foutu plan qu’il était arrivé à reconstituer au fil de ses explorations.
Ouvrant la boîte, elle en a sorti une feuille format A3 qu’elle a dépliée. À première vue, il s’agissait d’une carte militaire dessinée au crayon et mille fois retouchée. On l’avait tellement gommée qu’à certains endroits le papier était presque troué.
— Ce rond noir, a indiqué Sue, ce serait l’entrée de la mine, là où se dresse la casemate blindée où l’on entassait les sacs de pépites en prévision de leur transfert vers la banque. Le danger vient de cette caverne qui fonctionne comme un aspirateur géant. À certaines heures, le sens du courant qui s’en échappe s’inverse. Ross m’avait expliqué pourquoi mais j’ai oublié. Ça signifie que l’eau du lac s’y engouffre à grande vitesse, créant un effet de succion auquel il est impossible de résister. Si l’on n’a pas pris la précaution de s’encorder, on est aspiré par ce maelström qui vous avale, et on disparaît dans les profondeurs de la montagne. La puissance du courant est telle qu’un nageur ne peut s’y opposer. C’est dû à une histoire de lacs souterrains, de vases communicants et d’effet siphon que je ne saurais te décrire. Afin d’y remédier, Ross a planté des anneaux dans le sol tous les dix mètres. Des anneaux peints en jaune fluo, faciles à repérer. Dès que l’aspiration se fait sentir, il suffit de s’amarrer à l’un d’entre eux avec un mousqueton. Selon lui, c’est suffisant pour échapper à la succion du courant. Quand tu seras en bas, ton premier souci consistera à repérer la position de ces anneaux de sécurité, et à ne jamais t’éloigner d’eux. Comme deux précautions valent mieux qu’une, on t’attachera une corde autour de la taille. L’autre extrémité, je l’enroulerai au tronc d’un arbre, sur la berge, mais ne te fais pas d’illusion, en cas de malheur je n’aurai pas la force de te ramener à la surface. Tu devras te débrouiller pour essayer de sortir de la grotte par tes propres moyens. Tu veux vraiment y aller ? Ross disait que l’aspiration est si puissante qu’un jour elle lui avait arraché un marteau des mains.
— Combien de temps dure le phénomène ?
— Une dizaine de minutes en moyenne, mais c’est suffisant pour être avalé par la montagne. Et si tu te mets à tourbillonner au cœur du tunnel, tu te briseras les os en rebondissant d’un rocher à l’autre.
Évidemment, vu de cette manière, ça n’avait rien d’excitant.
— Je serai prudente, ai-je lancé. Je ne resterai que le temps d’apercevoir cette foutue casemate blindée.
Elle a fait la moue.
— Ce sera moins facile que tu ne l’imagines, a-t-elle grogné. Surtout si le courant soulève les sédiments du fond. Dans ce cas, l’eau deviendra laiteuse et tu ne verras plus rien. Si j’essaye de te décourager c’est parce que tu m’es sympathique et que je ne voudrais pas que tu disparaisses comme Ross.
Elle a rougi en disant cela, et je l’ai trouvée trop mignonne. J’ai étudié la carte un moment encore, puis j’ai rassemblé mon courage et décidé qu’il était temps d’y aller. Nous avons quitté le bungalow pour gagner la remise à souvenirs. Sue ne cessait de me seriner des conseils de prudence. Elle paraissait sincèrement inquiète.
— Méfie-toi du produit réchauffant, a-t-elle répété. Je vais en glisser une ampoule dans le pistolet à injection fixé à ta ceinture. En cas de malheur, pique-toi à travers la combinaison, l’aiguille percera les deux couches de Néoprène sans difficulté. La grande inconnue, c’est qu’on ignore comment réagira ton organisme. Chez certains sujets, le sang se met à bouillir et se change en boudin à l’intérieur des artères. C’est la mort instantanée. Chez d’autres, il y a formation de caillots dans les vaisseaux terminaux du cerveau, c’est l’AVC assuré. Les plongeurs de combat qui l’utilisent sont de vrais surhommes à qui on a fait subir des centaines de tests médicaux, je suppose que ce n’est pas ton cas…
Certes non, mais je ne suis pas aussi fragile que j’en ai l’air. J’ai beau être maigre, l’entraînement auquel mon cinglé de père m’a soumise des années durant a développé ma résistance physique. Par la suite je n’ai jamais cessé de me maintenir en forme, et je suis capable de faire autant de pompes qu’un sergent de marines. Si ma musculature n’est pas apparente, elle est néanmoins d’une grande tonicité, et mes abdominaux sont impeccables, trop, aux dires de certains de mes ex qui en étaient jaloux.
Sue m’a aidée à passer la première combinaison chauffante par-dessus mes vêtements après m’avoir forcée à enfiler un pull supplémentaire. Pour avoir maintes fois secondé Ross, elle connaissait son boulot à la perfection.
— J’ai rechargé les batteries toute la nuit, m’a-t-elle expliqué, mais ne compte pas trop dessus. Elles sont vieilles et ne te fourniront tout au plus qu’un quart d’heure de chauffage. Quand je dis « chauffage », ça signifie 17-18 °C pendant cinq minutes, ensuite les performances chuteront, et tu ne devras plus compter que sur 13-15 °C, voire moins. Ça n’a rien de tropical mais ça peut faire la différence. Sois attentive à ton état général, si la somnolence te gagne, c’est que tu entres en hypothermie. Remonte immédiatement. Ne t’attarde surtout pas, tu t’endormirais sans même t’en rendre compte. Ne joue pas les Lara Croft.
— Je n’ai assez de nichons pour le rôle ! ai-je gouaillé histoire d’alléger l’atmosphère.
Puis j’ai enfilé la deuxième combinaison et je me suis sentie dans la peau d’un explorateur de l’espace. Bouger devenait difficile. Le problème, c’était surtout les moufles de caoutchouc qui réduisaient à presque rien mes capacités préhensiles.
Sue m’a enduit le visage d’une épaisse couche de graisse afin de le préserver du froid ; enfin elle a assujetti le bi-pack du respirateur sur mes épaules.
— J’ai rechargé les bouteilles, a-t-elle marmonné. Tu disposes d’une heure d’autonomie, mais ne t’imagines pas que tu pourras rester tout ce temps en bas. Au bout de vingt minutes le froid va te transpercer jusqu’aux os et tu auras du mal à te retenir de claquer des dents. Tu sais que Ross s’entraînait à supporter le froid en s’allongeant dans une baignoire remplie de glaçons ?
Changée en Bibendum, je suis sortie de la cabane d’une démarche pataude, mes palmes sous le bras. Les outils suspendus à ma ceinture cliquetaient à chaque pas.
Quand nous sommes arrivées sur la berge, Sue m’a montré le câble à mousqueton fixé à ma taille, et m’a répété de m’en servir au moindre signe d’aspiration. Enfin, elle m’a encordée. J’ai craché dans mon masque, glissé l’embout du respirateur entre mes dents, et, l’estomac noué, je suis entrée dans l’eau.
En dépit des deux couches protectrices qui m’enveloppaient j’ai perçu la fraîcheur du lac. Essayant d’oublier la chair de poule qui me gagnait tout entière, j’ai plongé. Je n’avais pas le choix car, déjà, je n’avais plus pied. La paroi du « tombant », comme disent les marins, était vive. L’air en conserve avait un goût métallique. Je me suis laissée couler en essayant de me repérer. Je n’ai pas eu de mal à localiser la ligne des anneaux fluo fichés dans le sol. Sue m’avait dit que je n’avais qu’à la suivre, elle me mènerait à l’entrée de la mine, c’est là que m’attendaient les vraies difficultés.
Il n’y avait pas grand-chose à voir. L’eau était trouble, chargée de particules blanchâtres en suspension, les parois disparaissaient sous une couche de végétation aquatique. Je n’étais pas étonnée, sauf en cas de plongée sur des sites exceptionnels, l’exploration sous-marine s’avère le plus souvent décevante. Visibilité et lumière s’amenuisaient, les couleurs disparaissaient, un vague sentiment de claustrophobie m’a assaillie. Cette impression de « mur » qui s’empare du plongeur solitaire dès qu’il devient incapable de prévoir les obstacles qui se dressent peut-être devant lui à son insu. Au large de Miami, trois ans plus tôt, je m’étais ainsi trouvée nez à nez avec l’épave hideusement rongée d’un bombardier de la Seconde Guerre mondiale, dont le cockpit avait soudain surgi du brouillard liquide, telle la gueule d’un dinosaure. J’en gardais un mauvais souvenir.
Sous l’eau, fantasmes et peurs enfouies prennent un relief inattendu.
J’ai fixé mon attention sur la ligne d’anneaux rutilants. J’avançais presque en aveugle au sein d’une nappe laiteuse. À ce niveau, on ne distinguait aucune épave, aucune trace de la ville engloutie. Je n’avais pas très chaud mais c’était supportable. J’ai songé que Ross Rolden avait tâtonné des semaines avant d’établir cet itinéraire, je bénéficiais aujourd’hui d’un travail qui me permettrait d’accéder à la mine sans avoir à fureter dans le brouillard de sédiments qui montait du fond au gré des courants agitant la masse liquide. C’était appréciable.
Un coup d’œil au chronomètre fixé à mon poignet m’a appris que je barbotais depuis vingt minutes, j’approchais des 30 mètres au-dessous du niveau de la mer. Si je descendais plus bas, il me faudrait respecter des paliers de décompression lors de la remontée, ce que je voulais éviter à tout prix. La perspective que mon sang puisse bouillir jusqu’à se changer en boudin ne me réjouissait guère.
Enfin, alors que je commençais à frissonner, une grande tache noire s’est dessinée devant moi. Une espèce de cratère béant d’où surgissaient des rails tordus, mangés par l’oxydation. Une forme bosselée gisait dans la végétation, sans doute les restes d’un wagonnet expulsé du tunnel lors de l’inondation. Un grand nombre de ferrailles inidentifiables entouraient l’orifice d’accès. Ce trou énorme, qui de toute évidence avait explosé sous le jaillissement des eaux, avait quelque chose de sinistre. Il dessinait une gueule béante et noire au flanc de la montagne. J’ai tenté de me représenter la catastrophe. D’après Sue, les mineurs, travaillant à la dynamite, avaient commis l’erreur d’ouvrir une brèche dans une paroi derrière laquelle s’étendait une immense nappe phréatique. Cette mer souterraine, brusquement libérée, s’était ruée au travers des tunnels pour se déverser dans la vallée, la remplissant comme une vulgaire baignoire. Le désastre avait pris la dimension d’une apocalypse.
J’hésitais à m’approcher. La caverne au pourtour déchiqueté éveillait en moi une répugnance confinant à la superstition. J’ai pensé que je réagissais mal au mélange gazeux distribué par le détendeur qui glougloutait dans ma nuque. Il arrive qu’une mauvaise oxygénation provoque chez le plongeur des idées bizarres, des phobies incontrôlables qui peuvent mettre sa vie en danger.
À travers la masse liquide agitée par les courants, la bouche énorme semblait remuer, comme si elle essayait de me parler. D’un seul coup, la panique s’est emparée de moi et j’ai filé vers la surface, incapable de rester une seconde de plus dans ce lieu maudit.
C’était absurde mais impérieux comme un pressentiment. Mon instinct me criait de remonter sans attendre si je ne voulais pas mourir. Je lui ai obéi. Lorsque j’ai crevé la surface j’étais en pleine panique. Arc-boutée au filin noué autour de ma taille, Sue m’a tirée vers la berge. Je claquais des dents. Je l’ai entendu qui s’exclamait : « Bon sang ! tu es gelée ! »
Elle m’a soutenue jusqu’à la cabane où elle m’a dépouillée des deux combinaisons avant de me poser une bouillotte brûlante sur le plexus solaire.
— Il s’est passé quelque chose ? a-t-elle demandé.
J’ai bredouillé que j’avais cédé à un mouvement de panique.
— Je… je ne sais pas, ai-je soufflé. J’ai tout à coup eu la conviction d’être en danger. Une bouffée instinctive. Je n’ai pas réfléchi. Je me sens idiote.
— Mais non, tu as eu raison. Ross disait qu’en plongée il fallait toujours obéir à son instinct de survie. Il prétendait que notre inconscient perçoit des choses qui nous échappent. Dis-moi la vérité, c’est l’entrée de la mine qui t’a fait peur ?
— Oui…
— Ross détestait cet endroit. Il lui a fallu du temps avant de se résoudre à l’approcher. Il disait que c’était l’entrée des enfers. Une bouche énorme et avide, animée d’un appétit insatiable. Il en rêvait la nuit. Plusieurs fois il s’est réveillé en hurlant : « La bouche ! La bouche ! »
J’ai frissonné. Sue m’a posé une vieille couverture indienne sur les épaules et forcée à boire du café tiré d’une thermos.
— Tu n’as pas à avoir honte, a-t-elle insisté. Beaucoup de plongeurs amateurs ont tenté leur chance avant toi, ils ont tous fini aspirés par le courant. La caverne les a mangés, si l’on peut dire.
— Je retenterai ma chance cette après-midi, ai-je murmuré. À présent ça ira mieux, je sais à quoi m’attendre.
— Comme tu veux, a soupiré Sue avec un haussement d’épaules. N’empêche que c’est une belle connerie.
Nous sommes sorties de la cabane après avoir suspendu la combinaison pour qu’elle sèche. Je continuais à me sentir stupide. Pourtant, dès que je fermais les yeux, l’image du gouffre noir surgissait sous mes paupières et il me semblait voir la grande bouche de pierre marmonnant à mon intention d’incompréhensibles menaces.
Comme il était midi, Sue a fait cuire des steaks. Elle monologuait en s’agitant, pour me distraire. C’est ainsi que j’ai eu droit à l’exposé exhaustif de sa vie amoureuse à l’époque où elle était étudiante.
— J’ai perdu ma virginité à treize ans, m’a-t-elle expliqué. J’ai toujours eu un sacré tempérament. Ross trouvait que j’avais trop de besoins, il voulait que je suive un traitement hormonal qui aurait calmé mes ardeurs. Il disait que j’étais malade, que ce genre de truc, ça se soignait. Je n’ai jamais accepté d’en passer par là. En réalité, les hommes détestent qu’une femme ait du tempérament, ils se sentent vite inférieurs, incapables de la satisfaire, ça les amène à s’interroger sur leur soi-disant puissance sexuelle.
Je n’avais pas vraiment d’opinion sur la question mais l’écouter me faisait du bien. Peu à peu, mes angoisses ont reflué. J’ai finalement mangé de bon appétit. Je me suis vautrée dans une chaise longue pour une courte sieste sur la véranda.
— Réveille-moi dans une heure, ai-je demandé. Je veux tenter une nouvelle plongée.
Je craignais qu’elle ne me laisse dormir, mais elle m’a secouée à l’heure dite.
— Si tu es toujours décidée, a-t-elle lancé, il faut y aller maintenant, avant que Billy Bob ne rentre de chez le vieux.
J’ai dit d’accord, et la cérémonie de l’habillage a recommencé. Nous n’avons pas échangé un mot. J’avais à cœur de ne pas me dégonfler une deuxième fois. Je me suis foutue à l’eau les dents crispées sur mon embout, en me jurant de ne plus être victime des sortilèges du lac.
Manque de chance, la visibilité avait diminué et j’avais plus que jamais l’illusion de nager dans du lait. J’ai dû me déplacer au ras de la végétation afin de ne pas perdre de vue les anneaux de sécurité plantés par Ross Rolden. J’ai vite compris qu’il était inutile d’insister, ça ne donnerait rien. Je suis remontée en dix coups de palmes. Ça n’a pas étonné Sue.
— C’est souvent comme ça, a-t-elle éludé. Si tu savais le nombre de fois où Ross a plongé pour rien ! On recommencera demain.
Dépitée, j’ai dû me résoudre à me défaire de ma carapace trempée.
Nous avons attendu le retour de Billy Bob en jouant aux cartes. Sue en a profité pour me brosser un portrait au vitriol des habitants de Late Encounter. Elle connaissait les vices de chacun dans le moindre détail et les exposait avec humour.
— Ce sont des obscurantistes convaincus, a-t-elle conclu. Le monde moderne n’a pas prise sur eux. Ils se complaisent dans le passé. Tout cela finira mal un jour ou l’autre, mais je crois que c’est justement à cela qu’ils aspirent. Au châtiment. Un châtiment qui ne laissera pas pierre sur pierre ni âme qui vive. J’espère ne plus être là quand ça arrivera.